La fusion-absorption de société et la jurisprudence : vers une responsabilité générale et perpétuelle de la société absorbante ?
- daviddecharron
- Oct 8, 2024
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Analyse de l'arrêt du 22 mai 2024 (n°23-83.180) rendu par la Chambre criminelle de la Cour de cassation.
1. Contexte et portée de l'arrêt
Il sera tout d'abord rappelé qu'il faut distinguer la fusion-absorption de la fusion-acquisition, à l'issue de laquelle les entreprises conservent leur identité juridique propre.
Ce n'est pas le cas en fusion-absorption et c'est bien la raison pour laquelle cet arrêt a été rendu.
Par un arrêt contestable mais prévisible, la Cour de cassation poursuit la voie jurisprudentielle qu'elle a dessinée depuis 2020 en généralisant le transfert de responsabilité pénale de la société absorbée à la société absorbante, pour des faits constitutifs d'une infraction commise par la société absorbée avant l'opération, et ce, pour toutes les formes de structures.
Désormais la SARL (société à responsabilité limitée) est aussi concernée.
La responsabilité pénale de la personne morale se combine donc difficilement, à la lecture de cette décision, avec les dispositions de l'article 121-1 du code pénal instaurant le principe de responsabilité individuelle pour les personnes physiques.
L'article L.236-3 du code de commerce dispose pourtant :
"La fusion ou la scission entraîne la dissolution sans liquidation des sociétés qui disparaissent et la transmission universelle de leur patrimoine aux sociétés bénéficiaires, dans l'état où il se trouve à la date de réalisation définitive de l'opération. Elle entraîne simultanément l'acquisition, par les associés des sociétés qui disparaissent, de la qualité d'associés des sociétés bénéficiaires, dans les conditions déterminées par le contrat de fusion ou de scission."
L'application stricte de ce texte aurait donc dû exclure le transfert de responsabilité en cas de fusion-absorption.
2. Évolution
Jusqu'en 2020, les conseillers de la Cour de cassation estimaient, à juste titre, que la dissolution de la société opérée par la fusion empêchait le transfert de responsabilité pénale de la société absorbée à la société absorbante dans la mesure où l’opération de fusion-absorption faisait disparaître la société absorbée et stoppait les poursuites pénales à son endroit.
Un revirement de jurisprudence était opéré le 25 novembre 2020, sous l'influence du droit communautaire, et retenait la possible responsabilité pénale de la société absorbante pour les sociétés anonymes, les sociétés par actions simplifiées et certaines sociétés en commandite par actions.
Elle ne s'appliquait alors qu'aux fusions-absorptions réalisées a posteriori du 25 novembre 2020.
La Haute juridiction prévoyait le cas de la fraude dans son raisonnement pour le nuancer, c'est à dire pour le cas des fusions-absorptions réalisées sciemment pour faire disparaître la responsabilité de la société absorbée.
Elle admettait dans ce cas de figure que l'absorbante pouvait, à juste titre, toujours être poursuivie.
Dix huit mois plus tard, le 13 avril 2022, la Cour de cassation revenait sur le principe de réflexion qu'elle avait établi en précisant que les juridictions devaient rechercher in concreto si la fusion antérieure à novembre 2020 présentait un caractère de fraude pour se prononcer.
3. Portée de l'arrêt du 22 mai 2024 et incidences
Dès lors et dans un courant répressif à l'endroit de la responsabilité pénale de la personne morale, les magistrats de la Cour de cassation décidaient que le transfert de responsabilité concernait aussi les sociétés à responsabilité limitée, voire même qu'il deviendrait automatique en cas de fusion.
Pour explication valable, la Cour développe l'argument suivant :
"La continuité économique et fonctionnelle de la personne morale conduit à ne pas considérer la société absorbante comme étant distincte de la société absorbée, permettant que la première soit condamnée pénalement pour des faits constitutifs d’une infraction commise par la seconde avant l’opération de fusion-absorption."
Désormais, donc, même en dehors de toute fraude, la règle de transfert de responsabilité pénale de la société absorbée à la société absorbante est totale et concernera l’ensemble des opérations des fusions-absorptions, à compter du 25 novembre 2020.
Si elle est jugée frauduleuse, le transfert de responsabilité sera sans limite ni condition d’aucune sorte avec le risque que les peines complémentaires prévues à l’article 131-39 du code pénal soient transmises ou prononcées à l’égard de la société absorbante.



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